1. Cahier des charges : définition difficile du métier
Nous, professionnels des projets, ne mesurons pas à quel point réaliser les activités amont de projets telles qu’un cahier des charges, des spécifications fonctionnelles, une backlog produit, des user stories… reste encore aujourd’hui, une activité difficile et complexe.
Cette affirmation est étayée par l’examen des questions suivantes :
- « Comment désigne-t-on le métier consistant à réaliser les cahiers des charges ou les études amont des projets SI ? Quelle est sa définition ?»
- « Quelles sont les formations donnant les qualifications nécessaires à l’exercice de ce métier ? »
- « Lorsqu’une activité est difficile et complexe, à qui la confiez-vous ? »
- « Quel est le pourcentage des bonnes pratiques connues par les intervenants sur les phases amont ? »
- « Quelles sont les difficultés concrètes durant les phases amont des projets SI et quels sont les moyens permettant de les surmonter ? »
2. Analyse de la situation actuelle
2.1. La ou les désignations du métier ?
Lorsqu’une activité est reconnue en tant que métier, une désignation unique et univoque lui est attribuée. Elle est acceptée et connue de tous, par exemple : médecin, avocat, enseignant, comptable, boulanger, maçon, serrurier, pharmacien…
Or si nous examinons, en termes de demandes et d’offres, les marchés francophones de la prestation de services et de l’emploi, nous constatons que les acteurs réalisant les phases amont des projets SI possèdent de multiples appellations : analyste, concepteur, assistant MOA, consultant AMOA, architecte fonctionnel, concepteur fonctionnel, product owner… Dans le monde anglo-saxon, nous trouvons également de multiples désignations : business analyst, system analyst, business architect, system architect, product owner …
2.2. Un métier en gestation ?
Ce premier constat laisse à penser qu’il s’agit d’une profession en début de gestation et qui nécessitera certainement quelques décennies avant d’arriver à maturité. Sur une échelle historique, ces décennies sont à comparer aux siècles de maturation du monde médical avec les exemples des évolutions des conceptions mentales suivantes :
· le barbier qui tenait le rôle de coiffeur et de chirurgien
· le sorcier qui tenait le rôle de soignant et de prêtre
Lorsqu’une activité est reconnue en tant que métier, nous trouvons un cursus de formation diplômant qui lui est associé. C’est le cas pour les professions arrivées à maturité : médecin, avocat, enseignant, comptable, pharmacien…
Nous observons que pour les métiers des activités amont des projets surtout les projets SI, nous n’en sommes pas encore là. Ceci traduit une nouvelle fois un état de maturation.
2.3. A qui confier une mission à enjeu fort ?
Tout d’abord, nous rappelons le caractère structurant des études amont des projets SI :
Plus une erreur est détectée tardivement dans le cycle de vie d’un projet, plus ses conséquences en termes de coût sont élevées avec une croissance exponentielle.
En corollaire plus l’effort de détection et de rectification est opéré en amont plus il est rentable.
Ceci traduit bien le fait que les études amont présentent un enjeu fort.
Or, est-ce suffisant de confier les études amont des projets SI à des personnes ayant de l’expérience soit dans la technique informatique, soit dans le métier (la connaissance fonctionnelle) ? Certainement pas, pour preuve vos propres observations du caractère systématique des projets en dépassement budgétaire, de délai, avec des restrictions de fonctionnalités, des rectifications importantes en phase de recette, des tensions et litiges entre les différentes parties impliquées (DSI et métier) dès le cahier des charges.
Et toutes les études (Standish Group, Leffingwell…) convergent pour montrer que ces problèmes ont pour origine, dans plus de 80% des cas, les activités amont des projets et que la situation n’a pas progressé sur ces trente dernières années.


The Standish Group – The Chaos Report 2015 : 29% de projets abandonnés, 45% en dérapage de budget et de délai.
2.4. L’insuffisance de connaissances
Par ailleurs, pour illustrer l’insuffisance des connaissances fonctionnelles ou informatiques pour réaliser les études amont des projets SI, nous allons vous soumettre une question. Imaginez que vous ayez à traverser l’atlantique en voilier. Confieriez-vous la direction du bateau à une personne ayant pour qualification celle d’ingénieur en construction navale ou à un marin ?
Ainsi, dès que l’on a la profonde conviction que les activités amont des projets SI sont difficiles et structurantes pour la suite du projet, cela conduit à les confier uniquement à des personnes réellement formées et entraînées à la base : la rédaction de cahier des charges.
Néanmoins, une fois arrivé à cette conclusion, le problème reste entier : où trouver ces personnes formées et entraînées ? Quels sont les cursus complets couvrant ce domaine de la réalisation des études amont ?
2.5. Le pourcentage des bonnes pratiques appliquées
Beaucoup pensent, surtout au sein des grandes organisations (privées et publiques) qu’ils disposent en interne d’un cadre de référence méthodologique avancé et que cela est largement suffisant. Or, bien souvent, les gens ne savent pas par où commencer.
Nous avons toutefois mené une étude qui a fait ressortir que plus de 90% des personnes intervenant sur les phases amont des projets SI connaissent moins de 10% des bonnes pratiques clés répertoriées aujourd’hui. Cela signifie qu’elles n’utilisent pas bon nombre de pratiques fort utiles et efficaces et que par ailleurs elles font appel à des procédés inefficaces voire contre-productifs. Ceci explique d’ailleurs les mauvaises statistiques rapportées par le Standish Group.
Nous avons mesuré l’impact de l’utilisation des bonnes pratiques en observant plusieurs dizaines de projets répartis en deux groupes :
· ceux menés de façon classique, sans formation ni entraînement spécifique aux phases amont des projets SI : groupe A,
· ceux menés par des personnes ayant été formées et entraînées : groupe B.
Il en ressort les résultats suivants :
- Délai moyen entre début phase d’études et de mise en production
- A: 2 ans
- B: <1 an
- Taux de projets abandonnés
- A: 30%
- B: 5%
- Taux de rework en recette et en production
- A: 40%
- B: 10%
- Taux de satisfaction du métier sur 10
- A: 4
- B: 9
- Tensions et litiges (entre métier et DSI, au sein de chacune de ces hiérarchies)
- A: Récurrents et importants
- B: Rares et faibles
2.6. Les difficultés des phases amont et les moyens pour les surmonter ?
Examinons quelques-unes des principales difficultés rencontrées sur les phases amont et souvent sous-estimées :
· Le recueil du besoin : comment
- mener efficacement une interview ?
- faire ressortir le besoin réel du besoin de surface ?
- couvrir complètement le besoin ?
- optimiser la disponibilité du métier en n’ayant recours qu’à des questions utiles ?
Il s’agit d’une véritable discipline qui possède son propre référentiel de bonnes pratiques et qui nécessite un entraînement soutenu avec des exercices appropriés pour être maîtrisée.
· La formalisation : comment :
- traduire de manière fidèle, sans altération, le besoin collecté ?
- rendre les livrables concis et éviter les documents volumineux et indigestes ?
- les rendre précis et clairs pour tous ?
- faire en sorte que les documents soient compréhensibles d’une manière univoque tant par les référents métiers qu’informatiques ?
Ici également, nous sommes face à une discipline complète avec son propre référentiel de bonnes pratiques et ses propres exercices d’entraînement.
· La validation : comment faire en sorte que les référents métiers s’approprient les documents dans leur totalité et les valident en connaissance de cause ?
3. Conclusion
Pour surmonter les difficultés présentées ci-dessus, il s’avère nécessaire d’augmenter la qualité de tout le processus d’élaboration des cahiers des charges et des rôles associés :
- inventorier et codifier les pratiques clés concernant les phases amont des projets SI,
- construire les formations théoriques pour diffuser ces pratiques,
- élaborer des exercices et des dispositifs d’entraînement,
- imaginer des mécanismes objectifs d’évaluation du niveau de maîtrise des pratiques,
- valider en permanence les pratiques par un retour d’expérience sur les projets menés.
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